L'ancienne papeterie
d'Essonnes
Après de longs siècles de
fabrication manuelle du papier, dite à la cuve, c'est dans les
locaux de la papeterie d'Essonnes, rachetée en 1789 par
Pierre-François Didot puis reprise par son fils Léger six ans
plus tard, que Louis- Nicolas Robert mit au point en 1798 la machine à papier en continu, dans des
bâtiments toujours debout aujourd'hui. Au cours de complexes
allers et retours de la machine et des brevets afférents entre
la France et l'Angleterre dans les décennies suivantes, le
mécanicien Donkin la perfectionna et c'est sous une forme plus
achevée qu'elle revint en France après avoir été installée en
Angleterre à plusieurs exemplaires.
C'est à
Corvol-l'Orgueilleux, à la papeterie Villette, que la première
machine à papier perfectionnée est montée en 1822, précédant
d'un an la mise en service d'une unité de production identique
à Lisle-en-Rigault. Pendant ce temps, la manufacture
d'Essonnes, pourtant le berceau de cette révolution
technologique, est hors course : en effet, vendue sur faillite
en 1801 pour être affectée dix ans plus tard à une filature,
ce n'est qu'en 1836 qu'elle retrouve sa vocation
papetière. Sous l'impulsion du directeur Amédée Gratiot,
elle mettra vingt ans à devenir la plus importante de France,
avec 9 machines, une turbine et une roue hydrauliques et
plusieurs moteurs à vapeur installés dans de nouveaux locaux
construits à partir de 1850. Après une deuxième faillite en
1866, c'est Aimé Darblay qui la rachète et en poursuit
activement l'extension en la convertissant à la pâte de bois
(et non plus de chiffon), puisqu'en 1900 elle comptera 18
machines servies par trois bons milliers d'ouvriers. Au cours
de sa longue carrière, d'ailleurs, l'effectif des machines ira
jusqu'à 23. La plupart d'entre elles, très petites ou à forme
ronde, étaient d'ailleurs dédiées à des fabrications
épisodiques ou limitées.
|
 |
|
|
|
En cette grande époque de
concentration verticale, chaque usine comportait tous les
ateliers nécessaires à sa survie et n’avait conséquemment nul
besoin de recourir à la sous-traitance, ni pour changer un
joint de robinet ni pour remplacer un flasque de machine de
plusieurs tonnes. Ainsi, le magasin aux modèles offrait toute
la gamme des pièces de fonderie nécessaires à la remise en
état des machines : engrenages, roues, poulies, flasques,
vannes, robinets, boisseaux, distributeurs, bitoniaux,
contre-bitoniaux… La papeterie disposait alors de sa propre
fonderie aux Tarterets. A côté des forgerons, soudeurs,
fondeurs, ajusteurs, et j’en passe, figuraient enfin les
peintres chargés de décorer les machines de couleurs
chatoyantes rehaussées de filets propres à réjouir l’âme des
nombreux visiteurs et gros clients et à leur inspirer
confiance en une entreprise dont les dirigeants manifestaient
un si bon goût. Il n’y a point là de persiflage : les visites
étaient nombreuses, les invitations fréquentes, et chaque
membre du personnel était fier de l’image qu’il donnait de
l’usine où il travaillait. Cela d’autant que, au point de vue
de la protection sociale, la direction de la papeterie, axée
sur un paternalisme peut-être un peu moins étouffant que dans
l'industrie minière, offrait divers avantages à ses ouvriers,
et cela dès 1840, avec la construction de logements, d'une
école, d'une chapelle pour l'hygiène de l'âme et d'un
dispensaire pour celle du corps. Tout cela, joint plus tard à
l'instauration d'une caisse de secours, savait fidéliser les
ouvriers.
|
|
Devenue, avec 1100
ouvriers vers 1970, la plus puissante source d’emplois de Corbeil,
la papeterie crée pour se moderniser des établissements secondaires.
Mais, dans les années 80, une série de conflits sociaux touchant à
la fois l’usine de Corbeil et celle de Grand-Couronne conduisent, à
Corbeil, à la division des locaux en deux sociétés distinctes,
Papeteries de l’Essonne et Papcor. C’est l’explication des étranges
cloisons de parpaings murant les passerelles et encore visibles
aujourd’hui. Après une pénible survie pendant quelques années, c’est
la fermeture définitive en
1996.
|